Fernand Michaud

Fernand Michaud

par Philippa Wehle
Docteure en philosophie. Professeure de langue et de culture française et d’études d’art dramatique à l’université de l’État de New-York

« Les meilleurs photographes se font eux-mêmes », disait André Kertesz. S’il y en a un à qui cette phrase s’applique, c’est bien Fernand Michaud.

Fernand n’a étudié à aucune école si ce n’est celle de la vie, mais de la vie telle que lui-même se l’est choisie. Véritable « self-made man », Fernand sait ce que c’est que de se faire soi-même.

C’est ainsi qu’en 1969, Fernand s’est mis dans la tête cette notion saugrenue – en apparence seulement – d’archiver le Festival d’Avignon à ses propres frais. Pourquoi ? Parce que cela excitait sa curiosité et captivait son imagination ; parce que cela l’intéressait de miser sur l’avenir, bien sûr (« Tout vient à point à qui sait attendre ») et aussi, tout simplement, parce que Fernand a toujours été un passionné de théâtre (ne voulait-il pas devenir acteur à quatorze ans ?).

Ceux (rares, il faut le dire) qui ont vu ces archives, y découvrent un Festival tout autre que celui qu’on a l’habitude de montrer. C’est un Festival raconté par un amoureux lucide, celui qui sait ce qu’il aime et qui ne se laisse décourager par aucun obstacle. Avec la volonté qu’on lui connaît (c’est tout de même un Taureau), Fernand poursuit son idée, son désir ; infatigable, exigeant. On connaît les résultats.

ll ne s’agit donc pas d’images familières mais de paysages et de visages fortement personnels. Je pense à « sa » Poupée (Avignon, 1974), véritable explosion de couleurs et de mouvement, et à ses compositions d’Isabelle, Trois Caravelles et Un Charlatan (Avignon, 1971) qui pérennisent la splendeur majestueuse de ce spectacle.

Quant au Godot de Beckett mis en scène par Krejca (Avignon, 1978), je ne peux plus m’en ressouvenir sans évoquer le remarquable travail environnant de Fernand, dans les coulisses, dans les loges, aussi bien que sur la scène. L’angoisse de l’acteur avant qu’il n’entre en scène ainsi que son désarroi lorsqu’il en sort, est fixé à jamais grâce au regard pénétrant, concentré, et tendre de Fernand. Ce portfolio est une véritable mise en lumière du phénomène dramatique ; nouvelle dimension de l’art de la scène, à ajouter à celles du décor, du jeu, et de la mise en scène.

Ces portraits de Rufus, Georges Wilson, José-Maria Flotats et Michel Bouquet, comme tous ceux de Fernand, s’imposent d’emblée par ce qu’ils révèlent, avec tant de candeur, des combats intérieurs de chacun. Existe-t-il un art de la mise au point ? Si oui, il est né, chez Fernand, d’un dialogue profondément intime que le photographe entretient avec son sujet. Dialogue prolongé dans le temps ou contact immédiat ; échange librement consenti ou conversation imposée, peu importe. En photographie, il faut être agressif. (La prise de vue n’est-elle pas aussi une prise de pouvoir sur son sujet ?)

Michel Bouquet disait un jour à Fernand, avec envie sans doute : « Vous étes le seul homme libre du Festival. » Libre de refuser ou de dire « oui », à sa guise. Libre de tout quitter un jour pour revenir le lendemain si lui-même l’a décidé. Libre de choisir ses propres contraintes, puis de risquer, d’oser... et surtout, de rester toujours inventif et frais devant son sujet. Comportement et choix enviables, en effet, et qui expriment la force de Fernand, et, par conséquent, la force de ses images.

Philippa Wehle, New-York, 1982