Fernand Michaud

Épiphanie du visage

par Patrick Roegiers
écrivain, comédien, metteur en scène, directeur de théâtre

Épiphanie du visage

Derrière ses révérences contrites de théologien malicieux, l’étourdissant monologue dont il abreuve à flots le modèle, le pas de deux esquissé devant l’appareil qu’il nomme curieusement sa « prothèse », Fernand Michaud a mis au point un terrifiant stratagème pour parvenir à ses fins.

Lui, qui a exercé le métier de photographe sous toutes ses formes, sait parfaitement que le portrait par essence est un acte de violence, d’outrage, mélange de connivence et de cruauté, destiné à obtenir en un temps donné l’expression la plus juste et la plus sincère de la vérité du modèle. Michaud, au sens strict, dévisage. Physiologiste de l’âme, réfutant la surface immédiate des choses, il traque et sonde avec une consciente radicalité la personnalité du sujet dans les rides, les plus de la peau ou les inflexions apeurées du regard. Son œil, qui martèle, ausculte et palpe, décèle par une observation insistante, presque anatomique, les failles et les fissures qui sont les entrailles de l’être. Émergeant peu à peu du décolleté de la chemise entrouverte, la masse charnelle du visage se constitue ainsi peu à peu, trait par trait.

Muet, malmené, épinglé dans le cadre, le sujet contraint corporellement, sans possibilité de se soustraire, réduit au seul moment de sa présence, physiquement vulnérable, mais visuellement intouchable, apparaît dans la pleine intensité de sa présence. Défait, érodé par l’attente, saoulé de mots, hypnotisé parla danse, il s’accommode du traquenard et, semblant se soumettre, de son mieux, résiste. Rituel personnalisé, le cérémonial de la prise de vue s’avère être au sens propre une épreuve, un ardent combat, un corps à corps implacable, une confrontation sévère, une mise à nu sans fard.

L’excès de présence caractérise ces têtes, uniques et singulières, où perce l’obnubilation de la chair, toutes saisies à la lumière naturelle dont Michaud utilise l’action modelante à la façon d’un sculpteur maniant de la glaise. Et que son épouse Odette transcende plastiquement par la beauté du tirage, ombré, viré au sélénium qui accentue l’aspect pathétique, pathologique, du faciès et rapproche malgré lui chaque portrait de la figuration du masque mortuaire.

Uni par un même schéma formel (frontalité, absence de profondeur de champ, lumière zénithale, ombre plongeante), chacun est pourtant bien soi-même. Seul. Sidéré par l’instantanéité de la prise, figure fugacement hantée par le voile hideux où l’idée dela mort, que Michaud extrait en une nouvelle naissance du néant pour le placer magnifiquement, dans l’éternité métaphysique du présent.

Patrick Roegiers, 1997