Fernand Michaud

La visiteuse

par Jean-Claude Lemagny
conservateur chargé des photographies contemporaines à la Bibliothèque nationale

À propos de la série « Atelier Bouchard »

La jeune fille s’est glissée, curieuse, dans l’atelier abandonné du sculpteur.

Nue, vulnérable, prudemment elle se faufile dans le dédale des plâtres et des marbres. Ces masses rugueuses l’environnent de tout leur poids et de tout leur passé. L’éclectisme de l’artiste l’entoure d’une sorte de musée imaginaire où les bustes d’enfant sage voisinent avec les réminiscences de la Grèce archaïque et les effigies d’une paysanne révolue.

Entre ces figures muettes et sa présence furtive se noue un rapport étrange. Nous oublions qu’ il s’agit d’un modèle qui à chaque fois a pris une pose devant l’appareil photographique.Nous assistons plutôt aux fragments immobiles d’un film étrange, et aux moments figés d’une danse rêveuse entre la fragilité de la chair et l’immobilité de la pierre, entre la douceur et la solidité.Danse lente dans cette atmosphère froide de plâtre blanc et poudreux. Ondulations de la chair vivante face aux volumes et aux plans de la statuaire, ces morceaux de volonté figée.

Le plus beau est dans l’échange entre un épiderme sensible et chaud, et qui se sait périssable et des matières mortes mais qui révèlent la sensualité de leurs surfaces, leur lisse ou leur grenu, à ce corps jeune et vibrant venu errer parmi elles. A son passage, ils révèlent leur présence d’œuvres, issues d’une pensée d’artiste, et du contact de ses mains, avant de retourner à l’oubli.

L’ombre et la lumière, impassibles sœurs, modèlent indifféremment ce qui est vivant et ce qui est inerte, les faisant entrer dans une même chorégraphie, dans leur juste rythme et leur heureux balancements.

Jean-Claude Lemagny, 1997