Fernand Michaud

Fernand Michaud « cambrioleur d’âmes »

Blandine Chavanne, Bruno Gaudichon
conservateurs au musée Sainte-Croix, Poitiers

En 1984, nous avons eu la chance d’organiser pour le Musée de Poitiers une très belle exposition réunissant cent-vingt œuvres – portraits, photographies de théâtre, nus – de Fernand Michaud. L’amitié qui nous unit depuis lors à Fernand et Odette Michaud et qu’entretient un même attachement à notre région du Poitou, nous vaut l’honneur de préfacer le catalogue de cette présentation au public italien de la suite d’images consacrée par le photographe à l’un des évènements du Festival d’Avignon en 1982, le spectacle de Vittorio Gassman. Depuis 1980 en effet, Photographe Attaché au Festival d’Avignon, Fernand Michaud tient la chronique de la création théâtrale et chorégraphique en même temps qu’il construit patiemment une mémoire du monde du spectacle, de la presse et de la photographie des années quatre vingt. Il abandonne peu à peu l’archivage systématique au profit du choix délibéré d’un spectacle auquel il se consacre et d’entretiens privilégiés avec quelques personnalités qu’il observe, étudie, interroge pour mieux les fixer dans des images éblouissantes, appelées à devenir des portraits pour l’éternité. Pina Bausch et André Malraux, Duke Ellington et Michel Tournier, André Kertesz et José Artur, parmi des centaines d’autres, ont ainsi offert à Fernand Michaud ce « millionième de vérité pour l’éternité » qu’il transmet ensuite avec une honnêteté remarquable. Le « patron » du Festival d’Avignon, Bernard Faivre d’Arcier, a bien raconté ces séances de mise en boîte de specimens d’artiste qui obéissent à un rituel de mise en confiance en aparté et dans lesquelles l’artiste « impose finalement son rythme à lui, avec un art consommé de la courtoisie et de la discussion ».

Il est en fait parfaitement aisé de reprendre pour Fernand Michaud – et cette exposition en est la preuve éclatante – la sentence dont Robert de Montesquiou avait, avec génie et brio, qualifié Romaine Brooks : « cambrioleur d’âmes ». En effet Fernand Michaud va à l’essentiel en captant le détail. Il sait mieux que quiconque trouver dans le regard et le visage de ses modèles ce fragment de vie qui vise à l’éternité et c’est dans ces étincelles qu’il exprime ces parcelles de la vérité qui se suffisent à elles-mêmes. Dans des séries, ainsi dans le portfolio Gassman, le photographe sait prendre les deux expressions de la personnalité, les gestes de l’acteur et le regard de l’homme, les rassemblant pour traduire le pouvoir du séducteur. Dans les suites consacrées à un spectacle, les futilités deviennent le primordial et dans les images inouïes des chorégraphies de Pina Bausch par exemple, les découpages recréent le spectacle en respectant la vérité essentielle. Les jambes, les gestes, le scénique s’ordonnent à nouveau et le fantastique de Walzer ou de Nelken y est entier en une œuvre d’art à part entière. Dans les nus il en est de même, le photographe exhumant une superbe géologie du corps, une expression du physique dans lesquels l’anonymie et la précision, non sans viser à l’abstraction, expriment une sensibilité remarquable qui est sans aucun doute la caractéristique essentielle du travail de F. Michaud.

Ainsi est-il possible d’exprimer certes trop rapidement cette originalité du photographe des intimités, des jardins secrets, de l’opérateur solitaire du « carré d’herbe » d’Avignon :son théâtre où chacun sait devoir s’arrêter, discuter pour se voir dérober un fragment de soi, de son âme qu’il confie sans s’en apercevoir à chacun de nous, à chacun de vous. Ainsi, patiemment, mais avec passion, Fernand Michaud, aidé par la remarquable complicité de son épouse, sa traductrice fidèle, construit-il la mémoire de son époque. Il choisit ses modèles, trie ses spectacles, compose ses idéaux féminins dans un même souci de vérité personnelle qu’il sait être universelle tant sa démarche est exemplaire. Son œil est le nôtre qui nous permet – quel honneur – de dialoguer pour toujours avec notre monde. Chacun est lui ; chacun est exceptionnel mais il est nôtre maintenant car l’artiste a su aller à l’essentiel, a pu « cambrioler l’âme » en dépassant la représentation. L’acteur parle, l’écrivain regarde, le spectacle est immortalisé, le corps s’exprime. Merci Fernand Michaud.

Bruno Gaudichon, Blandine Chavanne, 1985